RACONTE-MOI UNE HISTOIRE #6
« Pour que l’intelligence artificielle ne fasse pas de nous des êtres superficiels…»
Ou « Comment concevoir nos programmes de formation à l’heure de l’IA ? »
Le saviez-vous ? La première IA est née en 1812 : les frères Grimm introduisent dans Blanche-Neige un miroir qui parle. « Miroir, joli miroir, dis-moi qui est la plus belle dans tout le pays ? » L’objet est insolent et provoque chez la reine la pire des angoisses : ne pas être la plus belle. La jalousie l’étrangle et elle fomente un plan diabolique autant dénué de cœur que ce satané tain : elle tuera sa belle-fille… Ce miroir n’est-il pas fascinant ? Interface de discussion totalement incapable de mentir, se voulant strictement objectif, il est l’incarnation d’une intelligence artificielle déshumanisée. Il ne pense pas, il exécute. On le questionne, il répond, qu’importent les conséquences. Car la décision d’agir ne lui appartient pas : il est esclave.
Du miroir à l’écran, il n’y a qu’un pas. N’est-il pas grisant d’extorquer des vérités en quelques clics seulement ? La réactivité de nos IA est tout à fait bluffante. Il suffit de prononcer la formule magique, que l’on appelle un « prompt ». Miroir, joli miroir… « Pourquoi confier à une tierce instance ce que tu peux faire toi-même ? » interroge ma grand-mère. Pour gagner du temps, bien sûr ! « Mais es-tu sûre de la fiabilité de cette source extérieure ? » Elle marque un point : pourquoi le miroir jaugerait-il mieux que la reine sa propre beauté ? Rien n’est plus subjectif que la beauté physique. L’objectivité de ChatGPT est toute relative, sa véracité aussi… Face à ce tain, ne prenez rien pour argent comptant et exigez les sources. Comme Alice, passez de l’autre côté du miroir, vérifiez chaque lien, ils ne sont pas toujours valables. Attention à ne prendre aucune décision sans avoir contrôlé. Et surtout, prenez du recul et respirez : l’IA vous livre des analyses froides hors de toute émotion. Tempérez-les, digérez-les, faites-les vôtres. Ajoutez de l’humain là où il n’y en a plus.
Cet article n’a pas pour objet de renier la magie de l’IA mais plutôt de se demander comment la maîtriser. ChatGPT me suit partout comme un gentil toutou. Tous les matins, je le siffle en allumant mon ordi et le voilà au garde-à-vous dans ma barre d’outils, à attendre les consignes. L’IA m’accompagne, m’épaule, me renseigne, et exécute sans rechigner les tâches ingrates que je lui confie. Sa science est inépuisable et sa magie sans limites. Mais elle souligne de fait ma propre ignorance. Je suis le maître, elle est l’esclave, pourtant elle me surpasse. Du Hegel tout craché. Dans sa célèbre dialectique, le maître commande mais ne travaille pas : il dépend de l’esclave pour transformer le monde. L’esclave, en trimant, développe son autonomie et sa conscience de soi. Au final, lui seul progresse et devient libre, le maître reste dépendant, car le pouvoir vient de l’expérience et de l’effort seulement. L’IA, comme l’univers, est en perpétuelle expansion. Elle se nourrit de nos recherches pour s’engraisser et progresser. Et notre dépendance s’accroit. Plutôt que de passer 5 minutes à chercher, on s’enfonce dans la passivité.
Pour nous, formateurs, le dilemme est de taille : to be AI or not to be? Comment l’utiliser sans perdre notre créativité ? Jusqu’où peut-on déléguer la conception d’une formation à une entité qui l’écrit sans la comprendre ? Pour Andrew Ng, professeur à Stanford, de même que l’électricité a transformé toutes les industries, l’IA révolutionne notre mode de vie. Et non sans risque : Elon Musk la juge plus dangereuse qu’une arme nucléaire. « Nous nous dirigeons vers une super-intelligence digitale qui dépasse de loin toute intelligence humaine, explique-t-il dans Forbes. Le taux d’amélioration de l’IA est beaucoup plus élevé que celui attendu. » Il est néanmoins évident que nous ne pourrons plus nous en passer. Mais regardons de plus près : l’invention de la machine à coudre n’a pas supprimé la nécessité des points main. Les plus grands maroquiniers le savent bien. Il en va de même dans notre usage de l’IA pour concevoir nos formations. Notre travail d’artisan exige de ne pas nous laisser emporter par la facilité et d’utiliser l’IA de manière tempérée. Distinguez la phase de la conception de celles de la rédaction et de l’animation. À chacune son IA.
Concevoir, pour commencer. Ne soumettez pas un sujet à votre IA sans y avoir d’abord réfléchi. En aucun cas, l’IA ne doit initier. Commencez par construire votre chemin de fer vous-même puis sollicitez-la pour un retour complémentaire, sans quoi votre plan sera plat, insipide, générique, en bref, typiquement IA. Observez ses réponses, pesez-les, retouchez. On allèguera qu’un bon prompt, en mode abracadabra, permet d’obtenir d’excellents résultats. Non, car un bon prompt exige que votre plan soit fait. Prenez le temps de réfléchir. Sollicitez mais ne déléguez pas. En gardant la main sur la genèse de votre document, vous nourrissez votre réflexion, vous formez vous-même et surtout, vous protégez la singularité de votre pensée. Ma recommandation : ne demandez pas à l’IA de lire à votre place les documents de base. Vous en récupéreriez une synthèse froide, là où vous pourriez cueillir des émotions, des intuitions, tout ce qui fera de votre formation un moment inspirant et unique.
Lors de la rédaction, l’IA sera votre plus grand allié, comme des bâtons de marche qui vous aident à grimper. Utilisez-la pour enrichir vos supports. Que de temps gagné ! Michel-Ange n’a pas peint la chapelle Sixtine seul. Il a dessiné les plans puis s’est fait assister.
Et maintenant, animez. Voici la partie la plus humaine, irremplaçable de votre formation. Chez The Wind Rose, nous sommes des ardents défenseurs du blended learning, qui mélange habilement le digital et le présentiel dans une fusion optimale. Le digital en amont et en aval pour découvrir et répéter, l’humain au centre pour apprendre et vibrer. Car l’émotion et le dialogue restent au cœur du sujet.
« Ils oublieront peut-être ce que vous avez dit,
mais ils n’oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir »,
clamait Carl Buehner, et non Maya Angelou comme on le dit beaucoup, merci à ChatGPT de m’avoir éclairée !
Michel-Ange, déçu par ses collaborateurs, a fini par les limoger. On dit même qu’il a retravaillé leurs peintures qu’il jugeait trop mauvaises. Vous seul êtes le maître, gardez ce pouvoir entre vos mains, pour que l’intelligence artificielle ne fasse pas de nous des êtres superficiels.
Et vous, quels sont vos meilleurs usages de l’IA ?
Aurélie Leborgne,
Août 2025
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crédits images :
1 : ChatGPT (Sora)
2 à 4 : Pixabay
couverture : iStock by Getty Images
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