RACONTE-MOI UNE HISTOIRE #8

« Soyez les bienvenus »


éloge de l’hospitalité dans le Retail de luxe

La sonnette retentit, je me précipite sur le paquet que me tend le livreur. Ma commande Sézane est arrivée. Je déballe fébrilement. Rien à redire, tout est là : papier de soie parfumé, carte personnalisée m’indiquant que Marianne a préparé mon colis, et même un tote bag en cadeau. J’ai beau avoir commandé sur un site, je me sens exister. Je soupire, soulagée : Sézane m’a rendu un fier service, jamais je n’aurais eu le temps cette semaine de courir les boutiques en vue du mariage auquel je vais samedi.

Dans Luxe : Nouveaux challenges, nouveaux challengers, Jean-Noël Kapferer explique que le développement du service passe par trois phases : diminuer la peine, créer de la satisfaction et augmenter l’émotion ressentie. Indéniablement, l’achat en ligne diminue ma peine et les millenials, toujours débordés, en usent et abusent. En quelques clics, je m’épargne une virée en ville et tout ce qu’elle implique d’embouteillages et de fatigue. Le colis entre mes mains, livré en un temps record, et renvoyable sans frais, est source de satisfaction. Mais qu’en est-il de l’émotion, une fois passée la joie du déballage et de l’essayage ? Qui pour me féliciter de mon achat, me rassurer sur le tombé de cette robe, ou me raccompagner jusqu’à la porte ? Quel souvenir garder de mon expérience si ce n’est sa praticité ? Sézane est indéniablement l’un des plus grands succès en ligne des dernières années, et pourtant, la maison s’est offert quelques salons. Car n’en déplaise aux grincheux, le magasin n’a pas encore dit son dernier mot.

Le luxe se doit d’être désormais une expérience et l’hôtellerie nous montre la voie.

Selon une étude citée par Lab Luxury & Retail[1], 62 % des 18-26 ans sont prêts à payer plus cher pour une expérience personnalisée. Toujours d’après Forbes, qui cite une étude de Fortune Business Insight, le marché mondial de l’hôtellerie de luxe aura une croissance annuelle de 11,5 % entre 2024 et 2032, quand le secteur du luxe a globalement maigri de 1% en 2024. Le futur du Retail est là, dans l’hospitalité et non dans le service.

 

La différence est de taille : « service » vient du latin servitium qui signifie « esclavage ». Amazon est mon « esclave », qui me répond 24h sur 24 et me livre même le dimanche. Ne cherchez pas d’humanité, il n’y en pas, et ce n’est pas ce que vous lui demandez. Rendez-vous maintenant dans votre boutique préférée. Ne poussez pas la porte, on vous l’ouvrira, car on vous attendait. C’est cela, l’hospitalité, du latin hospes qui veut dire « invité ». Dans l’Antiquité, l’hospitalité était d’ailleurs un lien de réciprocité, bien loin de la relation servile du maître à son esclave. En boutique, le vendeur vous convie à un moment agréable, d’égal à égal.

La boutique comme lieu de convivialité,
de story-doing et non de story-telling

Qu’il est loin le temps où l’on vendait le luxe à tour de bras par-dessus les comptoirs, c’est tellement XXe siècle… Le digital nous ramène à l’essentiel : la boutique comme lieu de convivialité, de story-doing et non de story-telling, comme le souligne Erwan Rambourg dans Future Luxe. Alors oui, mais comment ? On ne peut s’empêcher de penser au génie avec lequel Steve Jobs a adapté son Think different à ses concept-stores. Une révolution hôtelière en un sens, car il s’inspire des comptoirs des concierges du Ritz pour créer le Genius Bar, un lieu privilégié où demander un support technique et découvrir les produits. L’Apple store se veut expérience et par là émotion, sinon autant acheter en ligne. Le XXIe siècle est bien celui du Retail physique si toutefois l’on s’en donne la peine ! Pour cela, les boutiques doivent devenir un « tierce endroit[2] », explique Rambourg, un lieu hybride entre bureau et chez-soi, un peu comme les gentlemen clubs d’autrefois. Audemars-Piguet illustre le concept à merveille avec ses AP Houses, « un endroit où se plonger dans un livre et profiter de la culture et de la gastronomie. Un endroit où l’on pourrait découvrir des montres, mais pas toujours et pas seulement », d’après leur architecte milanais Piero Lissoni[3]. Et pourquoi ne pas déjeuner au restaurant de la Maison Ralph Lauren, à Paris ou prendre un chocolat chaud chez Bulgari à Tokyo ? Véritable lieu de vie, la boutique devient également lieu d’apprentissage et de divertissement. Louis Vuitton propose, dans ses plus grandes Maisons, des espaces culturels pour mettre en avant le travail d’artistes contemporains. Vous l’aurez compris, la boutique de luxe, que l’on préfère nommer « maison » est loin d’être un comptoir. Rappelons cet adage de Bob Hooey : « Si vous ne prenez pas soin de vos clients, vos concurrents le feront pour vous. » Qu’on se le tienne pour dit.

Audemars-Piguet, The House of Wonders à Shanghai, mai 2025

Avez-vous lu Les Fées de Charles Perrault ? On y retrouve deux sœurs, l’une bonne et belle asservie par sa famille, l’autre snob et odieuse adulée par sa mère. Un jour, la première rencontre à la fontaine une mendiante qui lui demande à boire, ce qu’elle fait généreusement. Il s’agissait d’une fée, qui pour la remercier, fait jaillir de sa bouche à chacun de ses mots des perles et des diamants. La vilaine sœur se précipite à la fontaine où elle ne trouve qu’une princesse qu’elle refuse de servir. Mal lui en prend, elle crachera désormais crapauds et vipères. Ce grand Charles n’était-il pas un visionnaire ? Chouchoutez vos clients, accueillez-les admirablement, vous en serez récompensés bien au-delà de leur fidélité.  Il est gratifiant et valorisant de donner le meilleur de soi-même et on reçoit toujours autant que l’on a donné.

Et vous, quels sont vos plus beaux exemples d’hospitalité ?


Aurélie Leborgne,
Octobre 2025

[1] https://www.forbes.fr/luxe/repli-du-luxe-quels-leviers-pour-un-rebond-en-2025/

[2] Make the store their “third place”: not work, not home, but somewhere to socialize and chill out.

[3] https://www.my-watchsite.fr/blog/lhospitalite-selon-audemars-piguet/

crédits images : Freepik.com / Audemars-Piguet

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