RACONTE-MOI UNE HISTOIRE #7

Le Chevalier, la Joconde, Picasso et l’Esthète.


Ou l’apologie des clients du luxe ordinaire.

« Le luxe, proclame Bernard Arnault,
c’est l’ordinaire d’individus extraordinaires et l’extraordinaire d’individus ordinaires. »

L’extraordinaire… Un mot qui laisse songeur. On pense à la scène de shopping culte de Pretty Woman et la phrase mythique que Julia lâche à son amie : « C’est facile de se pomponner quand on a de l’argent[1]. » Victoria Beckham est connue pour ses virées qui affolent Wall Street. Elle aurait dépensé plus de 500 000£ en une après-midi. Au compteur : une Rolex, 20 paires de souliers Dolce & Gabbana et 12 paires de lunettes Versace. Voilà de quoi épicer sa penderie. « Le shopping est comme une drogue, avoue-t-elle faussement honteuse. Plus on en a, plus on en veut, et quand je suis à Milan, je ne me contrôle plus[2]. »

On est bien d’accord, seulement voilà… Si les boutiques de luxe se frottent les mains à l’arrivée d’une telle cliente, ils ne doivent pas oublier pour autant les autres. Les « vous », les « nous », les gens normaux qui remplissent pièce à pièce leur tirelire cochon dans l’idée d’un jour accéder à leur rêve. Un 2.55, une Pasha, un Birkin, une Cayenne. Et qui soupirent en attendant ce moment ultime qui devra être magique, et mieux que dix minutes par-dessus un comptoir.

À nous, en boutique, de les reconnaître et de les chouchouter.

En 2024, les « extraordinaires », qui dépensent en moyenne 350 000€ par an dans le luxe, représentent 21% du CA du luxe total, dixit le BCG[3]. Quid des 79% restant ? En bas de la pyramide, les petits, les aspirationnels, budget annuel moyen de 1 500€, pèsent 64%. Du lourd. Comme quoi la somme des petits cailloux vaut parfois mieux qu’un gros caillou, dixit le Petit Poucet. Car oui, le client rougissant qui franchit la porte pour la première fois et demande d’une voix tremblante à voir un sac Speedy, mérite notre respect. Petit poisson deviendra grand. Petit client sera fidèle. Faites-le rêver, il reviendra et d’ « ordinaire », un jour, il deviendra « extra ».

La boutique, le samedi, est une forêt grouillante et débordante.

Elle est si touffue qu’on ne s’y repère plus. Chaque client est un petit caillou qui vous montre la voie. Tous sont importants, les petits comme les grands. Il y a mille bonnes raisons d’acheter un sac de luxe. Il y a la cliente qui veut du logo et celle qui l’observe d’un air dégouté, celui qui ne jure que par la nouveauté et l’autre par la qualité.  À chacun son luxe, tous se valent, la route est sinueuse et évolue au fil du temps.

Kapferer et Bastien dessinent dans Luxury Strategy, les contours de quatre clients à savoir accueillir, que pour simplifier, je nommerai, de manière tout à fait personnelle :

le Chevalier, la Joconde, le Picasso et l’Esthète.

 

Pour le Chevalier,

la pièce rêvée est comme une belle épée. Le logo est son blason, ses armes personnelles acquises à la sueur de son front. Héraut de Rolex ou de Ferrari (quitte à s’offrir une veste faute d’une voiture), il assume son goût du conformisme, aspire à narrer ses hauts faits et à pénétrer une certaine frange de la société. Il aime le luxe, profondément, viscéralement, et ne se contentera pas d’une pièce. Adoubez-le, il reviendra. Assoiffé de (re)connaissance et de nature curieuse, il goûtera avec joie aux trésors cachés dans les plis d’un beau cuir. Il a tout d’un très grand.

 

La Joconde

aime la beauté intemporelle et universellement approuvée. Terrifié à l’idée de se tromper et d’exposer à la face du monde un goût désapprouvé, ce client se réfugie dans des valeurs incontestées. La mode ne l’inspire pas, il préfère investir dans une pièce qui jamais ne prendra une ride. Louis Vuitton, Chanel, Porsche, Cartier, voilà qui lui parle. Lui aussi a le potentiel d’un extraordinaire. Avec vous, il se vêtira d’une touche d’exubérance. Donnez-lui confiance dans ses propres jugements.

 

Le Picasso

est comme un esquimau : il n’a pas froid aux yeux ! Explorateur du luxe, il ne recule jamais devant beaucoup d’audace. L’esthétique avant tout ! Un logo ? Peu lui chaut ! Pourquoi être comme tout le monde quand on peut être soi ? Ce client-là ne craint pas de s’imposer. Jacquemus, Margiela, Claverin l’accueillent à bras ouverts. Cultivez ce Picasso du luxe, suivez-le, observez-le. Il a tout du fidèle addict à votre style. Il ne butine pas, il prend racines.

 

L’Esthète enfin,

est rarement un client débutant, plus souvent l’aboutissement des deux premiers profils. Connaisseur, il défend ardemment le beau, le vrai, le bon, tout ce pour quoi l’artisanat du luxe respire. Les logos ? Non merci. Il vibre pour un tannage végétal et subtile, une complication horlogère invisible et tout ce qui fait que le luxe touche à l’ultime. Ce client donne des ailes aux boutiques Hermès, s’insinue chez Lange & Söhne et se patine chez Berluti. On le cueille dans l’entre-deux, en route entre l’ordinaire et l’extraordinaire, traçant une voie douce et discrète comme le luxe sait l’être.

 

Alors oui, pour quelques clients hors normes qui défraient la chronique et épuisent vos nerfs comme votre stock, il y a tous les autres. C’est sur une base solide que l’on construit les plus hautes des pyramides. Ce sont sur eux que vous construirez l’avenir.

Et vous, quels sont vos profils de clients préférés ?


Aurélie Leborgne,
Septembre 2025

[1] Well, thanks, but it’s easy to clean up when you got money.

[2] https://luxurylaunches.com/celebrities/victoria_beckham_goes_on_an_820000_shopping_spree_in_milan.php

[3] https://web-assets.bcg.com/d9/1b/b9b45ddc4101a87f588f2d6bc0e7/true-luxury-global-consumer-insight-2024-the-study.pdf?utm_source=chatgpt.com


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