RACONTE-MOI UNE HISTOIRE #9 – Ode au second amour
« Ode au second amour »
Il était une fois une princesse qui avait porté deux fois la même robe en public. Quelle audace, et le tout dans une même semaine ! La couronne était-elle en crise budgétaire ? La nouvelle avait agité l’Angleterre. Quand Kate revêtit une troisième fois sa tenue préférée, le peuple en resta coi. Ce fashion statement fut analysé sous toutes ses coutures : par ce geste disruptif, son Altesse soulignait l’importance à ses yeux d’une mode responsable.
Kate, reine du vintage ?
C’était en 2012.
Vinted soufflait ses 4 bougies et Vestiaire Collective en comptait 3. La révolution couvait mais nul n’imaginait l’ampleur que bientôt elle prendrait. Car le vintage ébranle le luxe aussi violemment que l’arrivée d’internet. Quand j’étais petite, les friperies et autres dépôts-ventes n’avaient pas la côte. Ces mots sentaient à plein nez le portefeuille désargenté. Comment imaginer que, quelques années plus tard, le vieux ferait peau neuve pour devenir… « fashion ». Le « vintage » a remplacé la « fripe », un mot bien savoureux qui signe les grands crus, les amoureux du vin le savent bien. Désormais, la seconde main se pare de ses plus beaux atours, on lui court après, on la veut, on la désire, et pour cause, elle porte les rides d’un passé qui la rendent unique, car les gens en ont soupé de la déco Ikea et de l’uniforme Zara. Question de génération bien entendu, car le vintage frappe à la porte depuis votre smartphone. Les baby boomers y sont peu réceptifs. Les Millenials se laissent séduire, « mon Dieu, mais quelles économies ! », le vintage fait d’eux des clients astucieux. Les Gen Z y sont happés et commencent leurs virées shopping en consultant Vinted ou Depop. Sous leurs doigts agiles et leur clavier fertile surgit un monde de convoitises qu’ils n’auraient jamais pu s’offrir. Le culte des marques prépare son grand retour car la seconde main ouvre tant de possibles. Et puis, il y a ce petit goût d’éthique et de durable qui prend le contrepied de Shein : le vintage donne bonne conscience et l’on s’en targue, un argument crucial pour tous nos jeunes clients. Vous l’avez compris, le vintage est style de vie avant d’être choix design.
Oui mais…
Le vintage ne serait-il pas aussi séduisant qu’un fruit défendu ?
Quand on y a croqué, comment y résister ? La chasse au trésor est addictive et l’on se retrouve tous à scroller dans une quête enivrante dont on ne peut plus se passer. Si le marché de l’occasion ne représente que 5% du luxe aujourd’hui[1], KPMG[2] estime qu’il atteindra 73 milliards d’euros d’ici 2031, avec un taux de croissance annuel moyen de 11,5%. Or, le marché du luxe n’est pas un univers en perpétuelle expansion. Si le vieux grossit, le neuf maigrira, mais aux dépens de qui ? Il y a vingt ans, les jeunes entraient dans le luxe par un article « abordable », un Speedy, une Baume & Mercier, un anti-cernes Touche Éclat, ou un bâton de rouge Chanel, offert par toute la famille pour célébrer un diplôme ou une majorité. Autres temps, autres mœurs, la Gen Z s’initie aux grandes maisons depuis son téléphone, et acquiert pour le même prix non pas un, mais plusieurs objets de désir. De fait, les marques ont tout à y gagner : s’offrir une seconde vie, c’est prouver sa qualité, son intemporalité et sa durabilité, un retour à l’essence-même du luxe.
“Ce qui a vieilli a prouvé sa valeur, écrivait Aristote,
ce qui est ancien a traversé l’épreuve du temps, et c’est cela, le sceau de la vérité.”[3]
Une phrase que n’aurait pas reniée Picsou, qui voue un véritable culte à son sou fétiche, le premier, le plus vieux, le plus beau. Et ce client qui découvre le luxe de plus en plus jeune est acquis pour la vie. C’est le fameux effet de non-retour théorisé par Kapferer et Bastien, ou « effet cliquet » : qui a goûté au luxe ne revient jamais en arrière[4]. On ne roule pas en Scenic quand on a appris à conduire avec une Porsche, même d’occasion. La Gen Z sera luxe mais tracera sa voie. Le risque vient davantage des Millenials, ceux dont le portefeuille est suffisamment garni pour se permettre une folie, mais qui succombent aux sirènes d’un rêve à prix réduit. Ces clients-là sont bien perdus. Et leur proportion encore très opaque risque fort de nuire au retail. En tête de file des recherches : l’horlogerie et la maroquinerie, deux types de produits qui ne dépendent pas de votre morphologie. Heureusement, le prêt-à-porter a moins de souci à se faire, les clients, pour la plupart, préférant encore essayer.
Le vintage est digne d’une révolution copernicienne. Il redessine les contours du luxe et oblige le retail à se réinventer. Demain plus qu’aujourd’hui, le client cherchera en boutique à vivre une émotion forte qu’un Birkin acheté en ligne ne pourra lui offrir. Certaines maisons ont pris le train en route. Christofle, Van Cleef & Arpels ou Cartier Tradition chassent leurs propres créations, les remettent en beauté et les vendent chez eux, l’occasion merveilleuse de faire revenir en leurs murs les chasseurs de trésors. Avec Gucci Vault, la maison éponyme a expérimenté la vente de vintage en pop-up stores, et a annoncé l’an dernier la création de Gucci Vintage, consacrée à 100% à ses propres pièces. On attend la suite avec fébrilité. Pas à pas, le vintage doit quitter les app pour renaître en boutique comme un cri de fierté des maisons de luxe, une ode à la beauté et à la qualité. Dans un article LinkedIn récent[5], Christophe Cais, fondateur de CXG, analyse le succès des boutiques vintages japonaises, au sein desquelles la seconde vie revêt autant d’importance que la première.
« C’est une philosophie, écrit-il, qui implique une relation avec le temps, l’histoire et le soin. »
C’est aussi l’occasion merveilleuse de valoriser la première vie de chaque création et son unicité. Apprenons à vendre les « secondes amours » aussi passionnément que les premières, et à débusquer une histoire à raconter au creux de chaque ride de sac.
Et vous, quel est votre plus beau second amour ?
Aurélie Leborgne,
Novembre 2025
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[1] Source Statista.
[2] https://assets.kpmg.com/content/dam/kpmg/gr/pdf/2024/02/gr-kpmg-future-of-consumer-goods-the-market-of-luxury-goods.pdf?utm_source=chatgpt.com
[3] ARISTOTE, Éthique à Nicomaque.
[4] V.BASTIEN & J.-N.KAPFERER, Luxe oblige, Eyrolles, 2012.
[5] https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7384141953707425792/






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